Philippe Vannier est le fondateur et président du fonds Crescendo Industries depuis 2004. Il a mené de nombreux investissements réalisés par Crescendo dans des sociétés technologiques dans les domaines des Big Data et de la sécurité.
À ce titre, il a été le premier actionnaire et le PDG du groupe Bull (1,3 milliard d’euros) jusqu’à l’offre d’achat d’Atos fin 2014. Au sein d’Atos, il a été directeur technique et vice-président exécutif des Big Data & de la sécurité jusqu’en 2019, tout en restant directeur général du groupe Bull.
Il est également président de l’Organisation européenne de la cybersécurité (ECSO) à Bruxelles.
En tant que spécialiste, nous l’avons interrogé sur les défis de la cybersécurité dans l’ère de la téléphonie mobile.
Evina vient de publier une étude de cas qui retrace les origines et les résultats de sa collaboration avec l’opérateur mobile belge Proximus. Avez-vous des commentaires sur cette étude ?
Ce type d’étude de cas est très motivant pour moi car il démontre clairement la valeur de la cybersécurité lorsqu’elle est parfaitement alignée avec les objectifs commerciaux.
J’ai cru comprendre que Proximus était sur le point de fermer une grande partie de son activité de paiement mobile simplement parce qu’elle était devenue trop complexe à gérer. Cette complexité inutile était due à des attaques massives et répétées de fraudeurs. Cela aurait été une réaction que nous observons souvent avec d’autres opérateurs. Toutefois, Proximus a décidé de garder l’esprit ouvert, de ne pas paniquer et aujourd’hui, elle récolte les fruits de sa détermination à ne pas céder aux fraudeurs.
Cette décision de faire face à la fraude et de la gérer s’est avérée plus que payante. Grâce à la technologie d’Evina, Proximus a pu contenir puis éliminer la fraude et a ainsi donné un nouveau souffle à ses activités de paiement mobile.
C’est un cas d’école : non seulement l’opérateur protège désormais mieux ses clients, mais grâce à cette nouvelle confiance, les interactions sont plus fluides, plus nombreuses et par conséquent les revenus augmentent.
Evina incarne cette nouvelle ère de cybersécurité, où nous passons d’une approche défensive à une approche offensive qui permet d’accéder à de nouveaux marchés prometteurs.
Vous parlez d’une nouvelle ère de cybersécurité, quelles en sont les spécificités ?
Les acteurs du monde digital sont de plus en plus conscients du véritable potentiel de la cybersécurité. Il ne s’agit pas seulement d’éviter des catastrophes, mais d’avoir un facilitateur et un accélérateur de business au quotidien.
Dans cette nouvelle ère de cybersécurité, il ne suffit plus d’être un spécialiste des bonnes pratiques de protection. Le défi majeur aujourd’hui est de développer des technologies avancées basées sur une connaissance intime de l’ensemble de l’écosystème économique.
Cette connaissance de l’écosystème permet d’intervenir à de multiples niveaux où les fraudeurs attaquent et donc non seulement de protéger chaque acteur, mais aussi d’ouvrir des opportunités commerciales en protégeant et en rationalisant l’ensemble de la chaîne.
Par exemple, dans le monde de la monétisation mobile où les opérateurs sont en danger mais aussi les annonceurs, les agences de publicité, les marchands digitaux et les agrégateurs de paiements, des entreprises comme Evina parviennent à intervenir à tous les stades des interactions et auprès de tous les acteurs. Cela crée une réaction en chaîne bénéfique pour toutes les parties concernées.
Des réseaux mieux protégés signifient moins de barrières et de contrôles manuels, donc plus de simplicité, plus de rapidité, plus de transactions et plus de revenus pour tout le monde.
Evina a-t-elle un positionnement unique sur le marché ?
Si le positionnement d’Evina n’est peut-être pas unique, il est néanmoins rare sur le marché. Et ce, pour deux raisons.
Très souvent, les entreprises de cybersécurité sont en dehors de l’écosystème qu’elles entendent protéger et ont donc une mauvaise compréhension des enjeux commerciaux. Dans ce cas, elles ne peuvent protéger qu’au détriment du chiffre d’affaires.
Dans le cas des entreprises de cybersécurité qui font partie de l’écosystème, elles ont souvent des liens avec certains acteurs, ce qui crée des conflits d’intérêts et empêche l’établissement de relations saines basées sur la confiance.
C’est pourquoi des entreprises comme Evina, qui allient expertise technique, neutralité et connaissance des questions sectorielles, sont rares, mais essentielles pour la croissance à long terme du marché. Cela les rend d’autant plus précieuses.
Comment voyez-vous l’évolution du marché dans les années à venir ?
Aujourd’hui plus que jamais, l’internet a le potentiel d’être un formidable outil de richesse.
L’augmentation de la fraude limite toutefois la pleine réalisation de ce potentiel : des barrières ont été érigées qui étaient censées protéger mais qui ont surtout empêché le libre-échange.
Afin de gagner un peu plus de fluidité tout en échappant aux criminels, beaucoup se sont réfugiés dans des environnements sécurisés gérés par des géants, tous américains. Cette stratégie, bien que confortable, n’est pas sans conséquences. Hormis le Cloud Act, qui est une transmission de vos données que les autorités américaines revendiquent comme les leurs, elle a toujours un coût plus élevé que prévu.
C’est une situation sous-optimale qui fait trop de perdants pour durer éternellement.
C’est pourquoi nous voyons déjà des entreprises comme Fortnite remettre en question l’hégémonie d’Apple en quittant son environnement clos.
Toutes les entreprises qui souhaitent échapper aux tenailles entre la taxation des GAFAM et le vol des criminels ont un besoin urgent de protection. C’est pourquoi je crois à l’émergence de ces nouvelles entreprises de haute technologie qui savent allier maîtrise de la cybersécurité et défis commerciaux.
Elles seront des architectes essentiels du développement d’un internet plus sûr et plus prospère, et seront sans aucun doute très richement récompensées pour cela.